La Cour des comptes est très critique à l’égard de la stratégie de numérisation du ministère de la Justice belge. Selon l’audit, il n’y a pas de stratégie efficace, les parties prenantes ne travaillent pas ensemble et le recours illimité à des consultants pèse sur le budget et l’impartialité.
La numérisation de la justice est une farce. C’est à peu près la seule conclusion possible d’un examen du projet de numérisation par la Cour des comptes. Ce rapport est cinglant sur pratiquement tous les aspects du processus de numérisation, à commencer par la stratégie.
Pas de stratégie
En résumé, mais pas en condensé : il n’y a pas de stratégie. La Cour des comptes constate que la numérisation à la Justice est un fourre-tout de projets coexistant sans stratégie cohérente définissant des objectifs. Il est ainsi impossible d’évaluer la réussite des projets, même en interne.
Une stratégie unique et cohérente fait défaut
Cour des comptes
En l’absence d’une véritable stratégie, il est difficile de mettre les nez dans la même direction, y compris au ministère de la justice. Il y a peu de signes de coopération entre les différents acteurs et services. La Cour des comptes constate plutôt le contraire : les parties concernées ne se font pas confiance et se considèrent même comme des concurrents.
la prolifération des consultants
Ensuite, il y a la question de l’argent : les sous disponibles sont gérés de manière somptueuse et incontrôlée. La justice s’appuie dans une très large mesure sur des consultants pour compenser le manque de compétences internes. Là encore, il n’y a pas de stratégie pour l’utilisation de ces consultants, si bien que dans certains cas, ils occupent pratiquement toutes les positions hiérarchiques d’un service, jusqu’à la direction. La plupart des gestionnaires chargés de la gestion des projets proviennent de firmes externes.
Il n’y a pratiquement pas de contrôle. La Cour des comptes note que les contrats avec les consultants ont parfois été adaptés a posteriori pour les rendre conformes à la réalité. Au cours de ce processus, des budgets ont été transférés. Des consultants sont présents sans que leurs contrats ne précisent clairement les objectifs et les moyens, et les rapports sont établis de manière peu claire. L’administration ne vérifie pas le travail des parties externes et la Cour des comptes constate un risque réel de fraude, les mêmes services pouvant être payés deux fois, par exemple.
La prolifération de consultants non contrôlés à des postes stratégiques présente un autre danger. Les sociétés externes peuvent utiliser leur rôle pour orienter l’administration vers leurs propres intérêts, par exemple en ne proposant que des solutions qui correspondent à leurs attentes.
Aucune idée de l’héritage
La tâche de numérisation du ministère de la justice n’est pas simple, mais même la base absolue pour démarrer fait défaut. Par exemple, malgré la présence de centaines de consultants et des années de travail, il n’existe pas d’inventaire complet des systèmes existants. La justice ne connaît pas leur coût, les compétences techniques nécessaires, leur degré de conformité ou de vulnérabilité, ni la mesure dans laquelle ils peuvent s’intégrer aux nouveaux systèmes.
Il y a un manque de connaissance et de vue d’ensemble des systèmes existants encore utilisés.
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En raison de l’absence totale de stratégie, la Cour des comptes estime qu’il existe un risque réel de double emploi, les services de la justice développant des applications dans le cadre de leurs projets individuels non orientés aux mêmes fins.
Pas de lumière au bout
Il n’y a pas de véritable lumière au bout du tunnel. La situation actuelle ne peut pas être simplement corrigée, car il n’est pas certain que les projets de numérisation en cours donneront effectivement des résultats. Même sur le plan financier, la Cour des comptes ne peut actuellement pas prédire si les investissements sont durables, compte tenu de l’incertitude. Tout indique que la Justice n’a pas pleinement maîtrisé les principes de base d’une bonne gestion administrative, constate la Cour des comptes.
La Cour des comptes ne rejette pas la faute exclusivement sur le SPF Justice. Le rapport note qu’il n’existe pas de lignes directrices fédérales uniformes définissant exactement à quoi doit ressembler la numérisation d’un département tel que la Justice. En règle générale, chaque service travaille sur des projets de numérisation de son côté, toujours sans stratégie globale. Ce manque de coordination empêche une approche rationnelle entre les différents départements fédéraux.
4 millions d’euros à la poubelle
Un exemple concret de mauvaise gestion est mis en lumière aujourd’hui à la VRT. La justice a payé 3,9 millions d’euros ces dernières années pour développer une solution permettant de signer numériquement des documents. Le développement de cette application a été réalisé en collaboration avec Bpost. Bien que des applications avec des fonctionnalités similaires existent sur le marché, et que le projet soit en cours depuis 2020, il n’a pas réussi à mettre au point la solution. La décision d’abandonner le projet a été prise.
Le coût réel du projet avorté serait plus élevé, selon Michael Freilich (NVA), membre de l’opposition. Il fait référence à des dizaines de consultants qui ont été payés, faisant écho aux conclusions de la Cour des comptes.
Politique de réponse
Le ministre délégué Paul Van Tigchelt (OpenVLD) estime que le rapport ne rend pas justice aux efforts considérables déployés pour moderniser la justice. Ce faisant, nous constatons d’emblée que la Cour des comptes ne reproche pas à la Justice un manque d’efforts, mais une incompétence et un manque de stratégie dans l’orientation de ces efforts.
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Le ministre affirme cependant qu’il existe une vision claire et que la numérisation de la justice a progressé davantage au cours de la dernière législature qu’auparavant. Il reconnaît toutefois que le pouvoir des consultants au sein de l’administration est peut-être devenu trop important. L’opposition, menée par la N-VA, demande une enquête sur les contrats relatifs aux projets de numérisation.
Recommandations
Sur la base de l’audit, la Cour des comptes formule quelques recommandations, qui se résument au fait que la justice doit commencer par le commencement. Avant tout, il est nécessaire d’élaborer une stratégie cohérente qui contienne des objectifs concrets sur ce que la justice veut réaliser exactement, ainsi que les moyens pour y parvenir.
Ensuite, ces ressources doivent être mieux gérées, notamment en ce qui concerne les risques de fraude liés à la prolifération des consultants. En marge, la justice doit renforcer ses propres compétences et développer une vision pour les technologies de l’information.
Le gouvernement fédéral devrait également élaborer des politiques plus coordonnées de manière globale, en créant davantage de synergies entre les départements. En théorie, le Bureau de la politique et du soutien du SPF (BOSA) joue ce rôle, mais la Cour des comptes constate qu’en réalité, le BOSA ne joue pas suffisamment le rôle de partenaire pour les départements, ce qui les incite à chercher des solutions en interne, entraînant ainsi une fragmentation supplémentaire.
Le rapport de la Cour des comptes est instructif et contribue à lancer la discussion, mais l’échec de la numérisation au sein de la justice est une vieille plaie sur laquelle presque tous les partis ont le beurre et l’argent du beurre. Dans sa réponse, le ministre minimise déjà la gravité du problème, alors que l’audit montre qu’il est urgent de prendre des mesures importantes.